ACTION POETIQUE (novembre 1987) La couverture propose en titre deux initiales. Une brève note d'introduction nous apprend que ce sont celles d'un poète anglais, Keith Barnes, mort en 1969, et dont l'uvre est restée inconnue. On comprend évidemment qu'il ne s'agit pas d'un roman. Alors, un récit ? Une biographie ? Une présentation critique ? Rien vraiment de cela. Le texte d'environ quatre-vingt-dix pages, est suivi d'un choix de poèmes. Il commence par la maladie et la mort de Keith Barnes, continue par la rencontre du poète et de l'auteur, les sui dans leurs cheminements - errances et voyages -, revient à son point de départ, la disparition de K.B. Celle-ci survient au moment où ils s'apprêtaient à ne plus se quitter , comme si cette trêve, au fond, ne leur avait pas été possible. Certains chapitres, les deux premiers surtout, et la fin du dernier, sont admirables, absolument. Ce livre limpide comporte quelques masques, ou plutôt des écrans légers, les initiales pour lui, la troisième personne pour elle. Mais cela lui donne la précision voilée d'une photo décolorée, un arrière-plan qu'on imagine sans le voir. Par exemple les moments les plus beaux sont ceux qui racaontent, sans analyse ni jugement, les faits. " A Ostende, la plage se retirait en immensité, le soleil s'était emparé du ciel et de la grande mer plate. Des eaux rouges où elle se baignait, elle le regardait fumer sa pipe, debout sur le sable, l'air las. Il était à bout de forces, si tôt le soir. Elle avait eu le cur serré. " Ou encore ; " A coups de sirène répétés, de feux rouges brûlés, ils avaient traversé Paris ; il était toujours inconscient, elle était penchée sur lui, pleurant enfin. ".
J'aime particulièrement la retenue du récit, cette manière
de ne pas tomber dans les clichés de l'émotion, de sorte
qu'elle resurgit chez le lecteur, et le surprend. J'aime aussi le portrait qu'elle fixe de cet homme " qui se réjouissait de toutes choses ", qui, " se laissait aller à l'insomnie comme à un bonheur de plus ", et qu'elle observe, un jour, en train de converser avec un oiseau, dans une boutique sur les quais. Le choix de poèmes proposés à la fin du volume ne reflète pratiquement pas la douceur radieuse de de Keith, son aptitude à se réjouir de ses bonheurs : vivre avec Jacqueline, à Paris, et écrire, mais plutôt ce qu'il lui avait fallu haïr et quitter pour les obtenir, pour les conquérir : l'Angleterre, la vie rangée comme un tiroir, le travail mal rémunéré et mal supporté
La face cachée de leur bien vivre, son contraire et son repoussoir,
est constamment aussi au centre du récit de Jacqueline Starer.
Ce thème, en accord avec l'époque - les années 66-68
- exprimé avec une intransigeance adolescente, avait pour remède
un refus de se fixer aussi bien dans un lieu que dans un travail ou un
amour, mais surtout, pour lui, la pratique de la littérature, et
pour elle, sur son encouragement, celle de la peinture : l'art comme arme
absolue pour tenir en échec la mort de l'esprit. De là le
caractère quasi religieux de l'entrée de Keith Barnes dans
l'écriture, de son engagement sans conditions, de son attente presque
naïve d'une réponse des autres, sous forme de publications,
d'estime et de reconnaissance. Il est violemment déçu, plus
peut-être, blessé dans son être profond : après
un premier livre, il se heurte au refus des éditeurs et des revues,
à l'exception, en France, des Lettres Nouvelles
Son écriture
change, de didactique, démonstrative et accessible, elle devient
plus âpre, plus violemment onirique, même si sa préoccupation,
toujours, est de " faire sauter les gonds ", même si la
mort - la sienne, celle des autres, " Je ne pourrai jamais te voir
sous une pierre si froide " - n'est jamais oubliée. "
Le réaliste est celui qui construit sa maison sur du sable Marie
Etienne
|