NOUVELLES LITTERAIRES (9 mars 1978)
La Beat Generation est-elle bonne à ranger dans le placard aux accessoires d'une Amérique véreuse qui a compris la leçon sans recevoir le message ? Peut-être. L'establishment US s'est toujours trouvé coincé entre l'envie de chasser les renégats de ses rangs et l'envie d'employer les nouveaux talents à la vieille entreprise nationale : éponger les 2 000 ans de civilisation manquants. Dans la lignée des vieux dégueulasses, de Fitzgerald à Miller, Corso, Rexroth, Ginsberg, Snyder, Ferlinghetti et les autres ont décidé, d'entrée, de faire la sourde oreille. On leur parlait nature de la culture, ils répondaient culture de la nature, ou quelque chose comme ça. Et chacun suivit sa route. Il semble bien, cependant, que l'Amérique n'a guère eu de mal à phagocyter la Beat Generation, tant il est vrai que les valeurs reconnues du pays de la chance et celles des Clochards célestes étaient, en fait, les mêmes : une certaine folie de Dieu, du voyage, du rêve sur commande. Un certain culte de l'individu marchant de front avec son destin. Le beat est en psychanalyse, l'Amérique est en analyse, le Beat prend de l'héroïne, l'Amérique riche est à la cocaïne Ce n'est pas un hasard si la contestation radicale, la profonde allergie aux hips et aux beatniks, aux marginaux intellectuels, vient essentiellement d'un continent qui a ses pauvres, l'Europe, et d'un pays qui enterre son jeune prolétariat dans ses mines et dans ses ports : l'Angleterre. On les croyait tous morts, les Beats, et voilà qu'on s'aperçoit qu'ils existent encore et qu'ils parcourent toujours, mine de rien, le même territoire. C'est là le grand mérite du livre de Jacqueline Starer : il donne des nouvelles. Et, pendant qu'une décennie enragée naît aux extravagances des médias, une décennie plus introvertie s'endort. Une galaxie de littéraires est attaquée par une armée d'attitudes et de sons. Ainsi en va-t-il des Beats comme des autres, comme d'un point à la ligne. Ils passent. Jean-François
BRIEU
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