MAURICE NADEAU (février 1987) '
Doucement il commence à pleuvoir Ler
vent gèle sur mes lèvres la chaude
La femme qu'il a aimée entre toutes, avec qui il a passé les heures les plus joyeuses et les plus graves de sa courte existence, 0 paris, New York, San Francisco, Atlanta, Berkeley, Mexico, couple d'errants qui, en ces années 60 ne savent où se fixer et qui vibrent à l'unisson au cours du Mai parisien de 68, cette femme n'a pu l'oublier. Ils avaient été frappés l'un et l'autre du même coup de foudre : "Elle avait été surprise de sa beauté, de son air de confiance, de don, d'enfance et d'assurance à la fois tout d'un coup, alors qu'il se renversait en arrière, elle avait aperçu une ressemblance avec Gérard Philipe ; même regard clair, désarmant ; elle en avait été émue et émerveillée". Sur cet amour, le destin fait tomber son couperet. Féroce, il disperse une uvre dont, telles certaines statues grecques, nous contemplons les membres épars. Tout palpitants encore, ils disent la jeunesse, l'amour, la promesse d'une vie autre dans un monde qui n'est assurément pas fait pour les poètes. K.B., c'est la voix d'une génération, celle des années 60, mal ressuyée des enfances de Guerre. C'est aussi celle qui redonne vie au mythe du poète-albatros. Exemplaire le récit que fait Jacqueline Starer de cette vie à deux dans ses errances, son refus du quotidien, ses exaltations, sa quête angoissée du "lieu et de la formule". Si "la vraie vie est ailleurs", certains êtres ont reçu le pouvoir d'en espérer l'indispensable et pressante venue. Keith Barnes était l'un d'eux. Grâce à sa fervente amie, sa parole nous parvient, chaude et bruissante, par delà le gel du "vent sur les lèvres". La publication du premier chapitre de K.B. dans la Quinzaine littéraire du 1er octobre 1986 a suscité un mouvement d'émotion et de curiosité. La ferveur et le talent de Jacqueline Starer qui, en outre a traduit de l'anglais les poèmes les plus significatifs de Keith Barnes, donnent au lecteur encore beaucoup à découvrir.
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