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Traversées
mai-juin 2011

LES LIVRES
Chroniques

Shizue Ogawa, Une âme qui joue, Choix de poèmes traduits de l'anglais par Michèle Duclos et Jacqueline Starer, À bouche perdue éditeur, Collection Pangée, 177 pages. Imprimé en Belgique en octobre 2010 pour le Compte de la Maison Internationale de la Poésie – Arthur Haulot.

Sur la couverture du recueil, rouge sang, apparaît le titre d'une blancheur pélagique. L'intérieur est constitué de poèmes qui parfois s'entendent comme des comptines, des confidences, des récits du plus quotidien des quotidiens, des éclats de voix plurielles servies par une écriture proche de la prose poétique, enfiévrée, enrêvée, puis calme comme un fleuve à l'étale, au cours non dompté de main d'homme, de femme. De la version anglaise réalisée par Donna Tamaki, née à Chicago, professeur, nous ne saurons rien, car il a été ici privilégié d'insérer l'écriture originale, pour nous esthétique, énigmatique du japonais à fleur d'idéogrammes porteurs de sons et de signes impénétrables à notre entendement. Et c'est tant pis. Et c'est tant mieux. Car ne s'agit-il pas ici d'être initiés à une subtile invitation au voyage ?

Les textes de Shizue Ogawa, née au Japon en 1947, spécialiste de Keats, sont enchâssés par une présentation éclairante de Jacqueline Starer et un entretien non moins ductile de Michèle Duclos avec Shizue Ogawa. À l'exception de quatre poèmes traduits par Alfred Balcaen, Jacqueline Starer, Jean-Luc Wauthier ensemble (p. 127, 131, 133, 137), la traduction a été réalisée, tour à tour par Jacqueline Starer et Michèle Duclos qui n'en sont pas, tant pour l'une que pour l'autre à leurs premières réalisations traductives. Shizue Ogawa nous invite à pérégriner dans un monde tantôt onirique, tantôt surréel, puis d'un réalisme fulgurant. Immanent. Permanent. Monde de clameurs sourdes rapportées, de regards portés sur les êtres et les choses, du grand Tout à l'infinitésimal, les cinq éléments, la nature, les êtres chers. Préhensions, compréhensions venues d'ailleurs, du Japon, pour emplir le vide de notre méconnaissance du son de cette cloche, du parfum de neige, du temple Yakushiji, de la pagode, de la fleur de lotus...

Pourtant, cette petite voix de poète, à la fois proche et si lointaine, ainsi que l'entendait Friedrich Hölderlin, interpelle l'humain, trop humain que nous sommes aussi, lorsqu'une larme débordée, la solitude, les questionnements, le désir-dépit amoureux, le doute, éprouvés en alternance avec la joie simple de vivre en accord avec le monde, tel qu'il est, tel qu'il va, l'acceptation de la vie dans la mort et vice et versa résonnent et raisonnent de conserve. Et quant bien même n'aurions-nous pas tout saisi, comme le poète qui se joue à poser cette fausse / vraie question : Les fraises sont rouges / D'où vient leur couleur ? / Les graines des fraises sont noires, minuscules. / À l'intérieur elles sont blanches, de simples graines. / Et où les fraises prennent-elles leur douceur ? (…) p. 27, est-il besoin de tout comprendre ?

Nous nous apercevons après avoir effectué une seconde lecture attentive que les poèmes singuliers de Shizue Ogawa ont réussi à nous suspendre au bord d'un reflet du monde vagant, puis cru, où il est malaisé, voire impossible de distinguer le faux du vrai, inscrits tous deux dans le miroir de l'eau de la vie ; ainsi (…) l'étang repose, là, / reflétant l'image d'une pagode / sur une eau calme et claire, / douleur de l'existence. / La pagode aussi était debout, / gardant ses distances / suscitant le désir de venir plus près (p. 161). De venir plus près d'une âme qui joue ; alors que : de l'intérieur je force / ma main à s'extraire / pour vous serrer la main à l'extérieur. / Puis je refroidis à nouveau le moule brûlant / avec les larmes de mon propre trompe-l'oeil (p. 51).

Et si nous demandions à Shizue Ogawa : « À quoi pensez-vous ? » ne répondrait- t-elle pas telle qu'en son poème par cette autre question : « Aimez-vous la mer ? ». L'écriture réflexive, animée, décalée, joyeuse se fait ainsi le reflet diffracté de cette Âme qui joue et se joue de...

ROME DEGUERGUE

Traduction en allemand et en anglais par Carla Huppertsberg Gordon, Docteur en littératures anglaise, française et anglo-irlandaise; universités de Wuppertal, Heidelberg, Trinity College, Dublin.

Shizue Ogawa, Une âme qui joue, eine Auswahl von Gedichten aus dem Englischen übersetzt von Michèle Duclos und Jacqueline Starer, herausgegeben von À bouche perdue, Reihe Pangée, in Belgien im Oktober 2010, gedruckt im Auftrag des Maison Internationale de la Poésie Arthur Haulot.

Auf dem blutroten Einband der Sammlung erscheint der blӓulich-weisse Titel. Ihr Inhalt sind Gedichte, die sich manchmal wie Kinderreime lesen, wie Vertraulichkeiten, wie Berichte des Alltӓglichsten vom Alltӓglichen: ein Ertӧnen vielfӓltiger Stimmen, die getragen werden von an poetischer Prosa grenzender Dichtung, fieberhaft, traumverloren und dann wieder ruhig wie ein unbeweglicher Fluss, dessen Lauf nicht von Menschenhand bestimmt ist. Von der englischen Version, die von der in Chicago geborenen Professorin Donna Tamaki erstellt wurde, wird hier verzichtet, denn Prioritӓt wurde dem ursprünglichen Text gegeben, der ӓsthetische, rӓtselhafte japanische Urtext ausgeschmückt mit Ideogrammen, Trӓger von Lauten und Zeichen, die sich unserem Verstӓndnis verschliessen. Und dies desto schlechter. Und dies umso besser.

Eine aufschlussreiche Einführung von Jacqueline Starer und eine nicht minder einfühlsame Unterhaltung Michèle Duclos mit Shizue Ogawa ergeben den Rahmen der Texte der Keats-Spezialistin Shizue Ogawa, 1947 in Japan geboren. Mit Ausnahme von vier Gedichten, die gemeinsam von Alfred Balcaen, Jacqueline Starer und Jean-Luc Wauthier übersetzt sind (p.127, 131, 133, 137), wurde die Übertragung abwechselnd von Jacqueline Starer und Michèle Duclos bestellt, die beide keine Neulinge auf diesem Gebiet sind. Shizue Ogawa fordert uns auf, in eine Welt einzutreten,die manchmal traumhaft, bisweilen surreal und dann auf einmal von einem atemberaubenden Realismus ist.. Immmanent. Permanent. Eine Welt von gedӓmpften Geschrei, von auf Menschen und Dinge gerichteten Blicken, vom grossen Ganzen bis zum unendlich Kleinen, die fünf Elemente, die Natur und uns nahestehende Menschen. Vorfühlen, Einfühlen, die von anderswo kommt, aus Japan, um die Leere auszufüllen, die entsteht aus unserer Verkennung des Lautes dieser Glocke, des Parfüms, des Yakushiji Tempels, der Pagode, der Lotusblume...

Dennoch diese zurückhaltende Dichterstimme, gleichzeitig nahe und ferne so wie es Friedrich Hӧlderlin verstand, appelliert an das Menschliche, allzu Menschliche in uns , wenn Empfindungen wie eine vergossene Trӓne, Einsamkeit, Selbstbefragungen, Liebesverlangen und – verdruss, Zweifel in uns mitklingen und mitdenken – all dies empfunden in Abwechslung mit der reinen Freude, im Einklang mit der Welt zu leben, so wie sie ist, so wie sie sein wird, mit der Hinnahme des Lebens im Tod sowie des Todes im Leben . Und selbst wenn wir nicht alles erfasst hӓtten wie der Dichter, der sich damit vergnügt, die falsche/richtige Frage zu stellen: Die Erdbeeren sind rot/woher kommt ihre Farbe?Die Kӧrnchen der Erdbeeren sind schwarz, winzig klein./ Im Inneren sind sie weiss, einfache Kӧrnchen./ Und woher nehmen die Erdbeeren ihre Süsse?(...) p.27, ist ein totales Verstehen wirklich notwendig?

Nach einer zweiten aufmerksamen Lektüre werden wir gewahr, dass die einzigartigen Gedichte Shizue Ogawas uns in einen Schwebezustand an den Rand eines Widerscheins der unsteten, aber rohen Welt versetzt haben, wo es schwierig, ja geradezu unmӧglich ist, zwischen Wahren und Falschen zu unterscheiden, die beide integraler Bestandteil des Spiegelung des Lebenselixier sind; so(...) der Weiher ruht,dort / das Bild einer Pagode widerspiegelnd / auf einem stillen und klaren Wasser, / Schmerz des Daseins./ Auch die Pagode stand aufrecht, auf Distanz gehend / das Verlangen nach Annӓherung erweckend (p.161). Einer Seele nӓherzukommen, die spielt; wӓhrend: ich zwinge meine Hand aus dem Inneren sich auszustrecken, um Dir die Hand aussen zu geben./ Dann kühle ich erneut die glühendheisse Form/ mit den Trӓnen meiner eigenen Selbsttӓuschung (p.51).

Und wenn wir Shizue Ogawa fragten:“Woran denken Sie?“ würde sie nicht genau wie in ihrem Gedicht mit der Gegenfrage antworten: „Lieben Sie das Meer?“ Ihre reflektive, lebendige, entrückte, freudevolle Dichtung wird somit zur gebrochenen Widerspiegelung dieser Seele, die sich spielerisch hinwegsetzt über...

***

Shizue Ogawa, A Soul at Play; Selected Poems translated from the English by Michèle Duclos and Jacqueline Starer, edited by À bouche perdue, Series Pangée; 177 pages; printed in Belgium for « La Maison Internationale de la Poésie – Arthur Haulot ».

On the blood red cover of this collection appears the sea blue title. The contents is made up of poems that can be read sometimes as nursery rhymes, then as confidentialities or tales of the most common of ordinary events, as outbursts of a multitude of voices that are coming from a writing close to poetic prose, feverish, dreamlike, then calm like a slack river whose course remains untouched by human hand. The English version by Chicago-born Professor Donna Tamaki is not given, for the preference here was to insert the original text, the in our view aesthetic, enigmatic Japanese ornate with ideograms carrying sounds and signs beyond our understanding. For better or worse. For are we not thus subtly initiated and invited to a journey?

Ogawa’s texts, a Keats-specialist born in Japan in 1947, are set within the framework of an informative presentation by Jacqueline Starer and a not less ductile conversation between Michèle Duclos and Shizue Ogawa. With the exception of four poems translated by Alfred Balcaen, Jaqueline Starer, Jean-Luc Wauthier in cooperation (pp. 127, 131, 133, 137), the translation has been carried out alternatively by Jacqueline Starer and Michèle Duclos, both not novice in the field of translations. Shizue Ogawa invites us to wander in a world sometimes dreamlike, at times surreal and then suddenly of a dazzling realism. Immanent. Permanent. A world of mute clamours, of gazes directed towards Men and Things, of the grand total to the infinitesimal, the five elements, nature, cherished beings. Apprehensions, comprehensions coming from elsewhere, from Japan to fill in the void of our ignorance of the sound of that bell, that fragrance of snow, of the Yakushiji temple, the pagoda, the lotus flower.

However, this barely audible poetic voice, near and far away at the same time according to Friedrich Hӧlderlin, calls out to the human to the all too human in us when emotions like a shed tear, solitude, soul-searching, the desire and thwarting of love, doubt resonate and reason in unison with the simple joy of living in harmony with the world such as it is, as it will be, the acceptance of life in death and vice versa. And even if we did not grasp everything as the poet who plays at putting that false/true question: The strawberries are red/ Where does their colour come from? / The kernels of strawberries are black, tiny. Inside they are white, just kernels./ And from where do strawberries take their sweetness?(…) p.27, do we really need to understand everything ?

Following a second closer reading we realize that with her unique poems Shizue Ogawa leaves us suspended at the edge of the reflection of a vagrant, then rough world in which it is difficult, even impossible to distinguish the false from the true, both anchored in the mirror of the essence of life; such as (…) the pond rests, there, reflecting the image of a pagoda onto a calm and clear water/ torment of existence. / The pagoda was also upright / keeping its distance / while provoking the desire to come closer (p.161) coming closer to a soul at play, whereas: I thrust my hand forcibly from within to shake hands with you outside. Then I cool the blazing mould again with tears of self-deception (p.51).

And were we to ask Shizue Ogawa the question: ”What are you thinking of?” would she not answer just as in her poem by another question: ”Do you love the sea?” This reflexive, lively, removed and joyful writing thus becomes the diffracted reflection of that soul at play making light of….

in www.romedeguergue.overblog.fr