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Le Journal des Poètes n°1 de 2008

Jean-Luc Wauthier
L’envers du ciel
éditions d’écarts, 2007

Comment, à l'intérieur d'une collection - Fil à Fil - il est possible de réaliser un ouvrage qui tranche non seulement par son contenu mais aussi par sa présentation, il faut en demander le secret à Mireille Batut d'Haussy qui, en artisan comme on en fait peu, a su trouver le papier, l'encre, la couleur qui allaient servir au mieux les nouveaux poèmes de Jean-Luc Wauthier. Et en effet on s'empare d'abord de L'envers du ciel avec le corps, avec des mains qui palpent l'ouvrage, des doigts qui sentent la texture du papier, les yeux sont frappés par le rouge pourpre du titre, à la fois fin et brillant. J'oublie les gens, j'oublie les événements. Je n'oublie jamais un livre, sa couverture, sa couleur, disait Michel Cournot.

Ainsi découvre-t-on lentement le texte offert. Et l'on entre dans L'envers du ciel en pays de connaissance. On y retrouve en effet la géographie et les thèmes récurrents du poète - et du prosateur.

C'est l'éternelle histoire
d'un Domaine à jamais détruit
empli de voix de femmes
de cris d'enfants
de silences aussi

Ce domaine, lieu de culture, qui n'est pas si perdu que cela, puisqu'à force de le pleurer et en même temps de tendre vers lui, il se révèle en cours de route un lieu de création et donc l'une des seules sources possibles d'optimisme. Domaine décor, un rien étrange, mais concret, dans le souvenir encore vif d'un désastre qu'on pourrait confondre avec des destructions de guerre et qui sont celles d'un effondrement économique avec, dans les friches, ce qui reste d'épines de ferraille, de fleurs noires, de rails.

homme sauvage et de sombre souche
né de forêts pétrifiées
et de  houille poisseuse
.
homme sauvage
de mauvaise humeur
de mauvais aloi

Voilà Jean-Luc Wauthier en auto-portrait, ici du poète, mais pas aussi aphasique ni illettré qu'il le dit, éclipsant momentanément l'érudit, le professeur, le journaliste, le raconteur, l'amuseur. Malgré les blessures bien réelles, celles d'une enfance bâillonnée - il s'en est remis -, du souvenir de la jeune bohémienne inconnue, voici à présent la femme claire, à la chaleur exacte, émouvante par son silence, et le double fruit éclatant, tous si pudiquement évoqués, qui avec un érotisme discret, qui avec une émotion au bonheur avoué, d'abord dans La part de l'ombre, puis dans La chambre nuptiale et dans Le retour à la lumière.

Avec pour corollaire

Le geste quotidien
             celui qui ne tue plus
             mais délivre, apaise

Cependant,


Il possède
de grands livres de nuit
où il se retire le jour venu
.
Il laisse son double
aller son amble, discourir,
serrer des mains.
lui qui, dans son abri obscur,
tutoie la mort
et lui parle en silence
jusqu'au fond des yeux.

Les poèmes de Wauthier se lisent et se relisent. L'émotion retenue s'infiltre en vous. On y retourne, pour voir de plus près, on n'est pas dans le tape-à-l'oil ou le tape-à-l'esprit, ni dans les envolées mais, presque subrepticement, sur un chemin qui se fait, qui se fraie jusqu'à vous, pénétrant, et dont on ne se lasse pas. Comme on dit en anglais : It grows on you, plus on le lit et plus on l'apprécie. Lire Wauthier est gratifiant, comme toujours quand on sent un abandon doublé de don, de soi et reçu. La mort a beau rôder, c'est l'avenir qui triomphera, non dans le chant d'un espoir irréel mais dans la réalité de l'enfant qui

ouvre d'une main heureuse
la porte de l'avenir.

Jacqueline Starer (2008)