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La Quinzaine littéraire, 2006

MARTIN MELKONIAN
Le Miniaturiste
Éditions Parenthèses, Marseille, 2006.
ISBN 2-86364-162-X / 12€.

Le Miniaturiste, que rééditent aujourd'hui les Éditions Parenthèses, dans la Collection Diasporales, est le premier livre de Martin Melkonian, premier aussi d'une suite autobiographique, que publia le Seuil de 1964 à 1988, qui comprend également Désobéir et Loin du Ritz. Il faut se réjouir de cette nouvelle parution promise à mener au grand jour celui qui, d'un obscur deux-pièces du Xe arrondissement de Paris dans les années 1950 et 1960, passe progressivement « avec une chaude lenteur » ce sont ses termes, à la lumière d'un passé finalement assumé et à une écriture qui relève de ce qu'il appelle lui même une « érudition émotionnelle ».

Voir. Parler. Mourir. Ainsi s'intitulent les trois parties du Miniaturiste.

Voir. Martin Melkonian, né en 1950, enfant unique, ce qui n'est pas sans répercussions sur son écriture, a eu tout loisir, dans sa solitude et son errance dans l'atelier de tailleur 'en chambre' désaffecté de ses parents « deux petites pièces et un réduit cuisine », au 204 de la rue du Faubourg-Saint-Martin, d'observer, de rêver, de toucher, de sentir, de découvrir la beauté, des papiers aux couleurs douces, au toucher dangereux, des tissus qui glissent et se transforment au cours d'une fabrication appliquée, tête baissée, yeux rivés, ouvrage soigné. C'était dans ce Paris d'après guerre, et du début des année soixante, au macadam gris, aux immeubles gris, sans espoir apparent.

Parler. C'est là aussi que l'enfant gravissait les marches de l'escalier, à l'aide de son père qui les numérotait en arménien, « langue douce dans sa bouche d'homme doux ». À quatre ans, l'enfant était bavard. Peu après, cette langue, sa langue natale, première donc, lui sera interdite. Par son père justement, sans que lui en soit donnée la raison. « Là, j'ai perdu ma langue. Là j'en ai conquis une autre. Là : dans la chambre partagée où le corps de papa apprit simultanément à s'immobiliser ». Car le passage au français, qui fut pour Melkonian une source de joies immenses, même si sa première langue ne cesse d'être « pour le restant de [ses] jours, un appel », s'accompagna d'une lente tragédie qu'il vécut jusqu'à son ultime moment : la paralysie progressive de son père.

Mourir, c'est la mort de son père, à qui est dédié ce livre, mais c'est aussi la presque mort de Martin Melkonian car, face à ce drame, ses forces ont lâché. Sa renaissance sera porteuse de son écriture. « J'éprouvai le besoin de porter un témoignage sur ce que je venais de vivre. » Pour Melkonian, avec des efforts proprement héroïques, le sens vital a été le plus fort. Son projet d'écriture est devenu un projet de vie. Son engagement dans l'écrit puise sa source dans un passé qui n'a pas été occulté. Comme des rhizomes, pourront ainsi recommencer à pousser des racines bien ancrées. L'écriture aura triomphé de la mort et c'est bien d'une victoire qu'il s'agit.

Martin Melkonian ne cultive pas son origine, sa différence, mais il n'y renonce pas non plus. Mémoire et écriture avancent ensemble. Il fait face à son passé et à l'Histoire quand bien même la civilisation perdue est devenue imaginaire et si son origine n'est pas son être, elle en fait partie, indéniablement. Une multi-identité est porteuse de richesses et d'interpénétrations insoupçonnées. Elle est une force, elle se transforme en quête et, dans l'inconfort, elle est une source inestimable de création. Il y aura eu cette langue-là, il y aura eu cette tragédie-là. Il y a à présent un homme, Melkonian, avec cette écriture-là, cette vie-là qu'il sait si bien nous faire partager.

Jacqueline Starer (2006)