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Nouvelles d’Arménie, 2006

MAX SISVALIAN
Ils sont assis
Postface de Martin Melkonian
Éditions Parenthèses, Marseille, 2006

Après de nombreuses années passées, depuis ses dix-huit ans, à bourlinguer et à prendre des photos sur tous les continents, Max Sisvalian qui est né à Marseille en 1954, vit à Erevan où il est correspondant de presse. En 1998 et 1999, il photographie détenus, détenues, et des enfants, dans plusieurs prisons et centres de détention en Arménie. Ce sont ses photos qui nous sont données à voir cette année, grâce à une très belle présentation des éditions Parenthèses dans la collection Diasporales, accompagnées d'une postface de Martin Melkonian intitulée Photos frappées.

Ce livre de photographies en noir et blanc, élégant par son format à l'italienne, sobre par le style non émotif des portraits et des situations, ne manque pourtant pas d'une chaleur exprimée à la fois par un photographe qui ne voit pas que l'enfermement mais aussi la tenue et l'espoir de ces prisonniers, deux fois frappés : par l'Histoire et par leur histoire. C'est cela que nous dit, avec compassion, le texte de Melkonian, mis en valeur, page après page, par un dégradé délicat de jaunes, jaunes pâles, revenant au noir et blanc de l'ensemble du livre.

Ils sont assis : cette expression signifiait, du temps de l'Union soviétique, l'enfermement, l'internement dans un camp. Le langage l'a gardée. Et ces détenus que nous observons, par objectif interposé, nous apparaissent en vérité très debout. Au milieu d'un paysage de grilles, de grillages, de barrières, de quadrillages et de losanges, sur des fonds de murs délabrés, avec, en arrière plan, des montagnes enneigées, et malgré la présence des sentinelles, nous voyons des hommes et des femmes qui n'ont pas la tête particulièrement baissée. Parfois même, ils sourient, la possibilité et la réalité de l'amitié est captée.

Certes ce sont, comme dit Melkonian :

Des prisons pauvres
Des prisons de pauvres
En Arménie.

Mais :

Nous voyons parfois un couple se former. Alors c'est le regain. Le territoire s'agrandit. Les visages se prêtent à l'objectif. Peu d'eau dans les yeux. Le photographe l'a compris : son propre regard n'est pas pénal. Il ne surajoute pas un quelconque jugement aux jugements déjà prononcés.

Bien sûr ce sont des Arméniens et des Arméniennes qui sont incarcérés mais ce sont surtout des êtres humains et ce que nous voyons est un monde aliéné par les surenchères de malheur. Nous remarquons des rides sur les fronts, mais aussi des sourires et quelques moments d'abandon. Et nous percevons une présence religieuse, l'empreinte d'une vision religieuse pour certains. Avec une attente, un espoir. Le silence nous imprègne.

Il est à souligner que cet ouvrage est soutenu par l'Association française des avocats et juristes arméniens (AFAJA), créée en 1993, qui apporte son aide juridique et judiciaire à l'Arménie en reconstruction et à sa Diaspora et remplit une mission de défense de la mémoire collective des communautés arméniennes. Et si elle le soutient, c'est parce qu'elle veut témoigner d'une humanité toujours présente derrière ces portraits d'hommes et de femmes vivant dans un univers carcéral qui conserve cependant, ce qui est loin d'être négligeable, des liens de sociabilité.


Jacqueline Starer (2006)